23 juin 2017

L'activité du volcan Ol Doinyo Lengaï depuis 2014 (erratum)

Cela fait très très longtemps, depuis 2014, que je n'ai pas eu l'occasion de parler de l'Ol Doinyo Lengaï, siège de l'activité éruptive peut-être la plus fascinante de notre planète. Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas: il libère les laves les plus froides de la planète, des roches formées essentiellement de carbonates (Calcite, Dolomites, Gregoryite etc, alors que toutes les autres roches volcaniques de la planète* sont formées à base de silicates (olivines, pyroxènes, amphiboles, quartz, feldspaths, micas, j'en passe et des meilleurs). Par ailleurs ces laves sont émises à une température comprise entre 480 et 600°C. Elle  sont extrêmement fluides, formant des spatter cônes spectaculaires et de belles coulées. Vue leur faible température, leur incandescence est toute aussi faible, même de nuit.
Or donc l'activité sur ce volcan est réputée de part le monde en raison de la particularité de ses laves. Entre les années 80 et milieu des années 2000, l'activité avait progressivement remplit le cratère sommital de carbonatites. Et c'est en 1998 que, finalement, cette lave avait commencé à déborder sur les flancs externes. En 2007 une importante crise sismique débute à l'est du Lengaï: toute cette zone du rift connait un épisode majeur d'extension, et du magma s'injecte dans les failles en formation. Une partie entre en contact avec la zone de stockage des carbonatites, sous le Lengaï, ce qui la rend très instable et aboutit à une éruption très importante. Elle détruit totalement la plate-forme produite par plus de 2 décennies d'une lente accumulation et réouvre le cratère. Peu après la fin de l’éruption (mi 2008), la carbonatite a recommencé à sortir au fond du cratère réouvert, formant de temps) à autre, des coulées vite recouvertes, et des spatter cônes vite détruits. Les dernières informations concernant l'activité remontent à 2013-2014, lorsqu'un nouvel évent avait été observé au pied de la paroi ouest du cratère: ses projections répétées, sous forme de fontaines plus ou moins intenses, étaient orientées vers la paroi. Les roches de cette dernière étant fragiles et friables, les projections avait progressivement commencé à l'éroder, formant une cavité circulaire: une situation plutôt inhabituelle. Cet évent générait alors un signal thermique extrêmement faible, car en plus de la faible température des carbonatites, l'évent avait une taille très réduite.

Zoom sur une image prise en juillet 2014 par LANDSAT 8, composée à partir des données fournies par 3 capteurs sensibles aux infrarouges. On note un très très faible signal à l'endroit où une activité avait été observée en 2013-2014. Image: LANDSAT 8 - NASA/USGS


Et depuis, plus rien: l'activité s'est-elle arrêtée ou se poursuit-elle? Que se passe-t-il dans le cratère?

J'ai regardé toutes les images satellites réalisées depuis 2014 jusqu'à juin 2016, par LANDSAT 8 et SENTINEL 2, afin de voir si une activité, constante ou non, pouvait être visible. Pas facile de donner un résultat définitif et totalement argumenté mais, pour ce que j'ai pu constater une activité est présente mais semble discontinue depuis 2014, avec des périodes de plusieurs mois sans détection de signaux thermiques. Attention toutefois: l'absence de signaux ne veux pas dire absence d'activité: les images satellites ne sont pas très fréquentes (1 à 4 par mois) et il peut y avoir des nuages sur le volcan. Mais en tout cas rien n'indique qu'une activité très intense ait eu lieu depuis 2014: on est toujours dans le cadre d'émissions de carbonatites en faible volume.

Le MIROVA indique la présence de signaux thermiques de manière irrégulière mais vue la très faible intensité du rayonnement thermique produit par les carbonatites, il faut prendre ces données avec un oeil méfiant. La zone peut être sujette aux incendies, volontaires (écobuage) ou spontanés (foudre etc), et ces événements peuvent générer des signaux assez forts pour que le MIROVA les repèrent. On peut noter un pic de rayonnement entre août et novembre 2016, avec un pic en septembre: correspond-t-il à une activité dans le cratère? Une image prise le 21 septembre par SENTINEL 2 permet de confirmer qu'une activité, plus intense qu'en 2014 était en cours. Plus intense car le rayonnement thermique était plus fort.

Le pic d'activité thermique détecté par le MIROVA semble bien correspondre à un pic d'activité éruptive dans le cratère. Image: MIROVA et SENTINEL2 - ESA/Copernicus; composition et annotations: Culture Volcan

On peut noter aussi que ce n'était plus l'évent ouest qui était actif lors du passage du satellite, mais un nouvel évent situé au pied du mur nord du cratère. Le signal est relativement fort: l'activité devait être assez jolie à ce moment-là.

Le graphique du MIROVA monte un nouveau pic en février-avril 2017, mais aucune des images satellites prisent à ce moment-là ne montre d'activité. Par contre le pic le plus à droite, début juin, correspond, lui, à une nouvelle émission de carbonatite, visible sur les images du satellite SENTINEL 2. Une composition colorée dans laquelle la couleur rouge est remplacée par l'infrarouge permet de voir en outre que la source du rayonnement thermique (la carbonatite à ~500°) se trouve actuellement au milieu du cratère et non plus au pied de la paroi nord. Par ailleurs l'activité (peut-être celle responsable du pic thermique de février-avril?) a commencé d'édifier un nouveau cône au fond du cratère, en plein centre.

Le signal thermique est émis par un nouveau cône édifié récemment en plein milieu du cratère. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Bilan

Depuis 2014, l'activité s'est donc poursuivie. Faible d'une manière générale, en particulier en 2014-2015 et une bonne partie de 2016, elle semble se manifester de temps en temps. L'intensité du signal thermique, toujours très faible, est cohérent avec l'émission de carbonatite à faible température. Depuis août-septembre 2016 l'activité semble avoir gagné un peu en vigueur: elle semble toujours discontinue mais les signaux thermiques qu'elle produit sont nettement plus intenses qu'avant. Entre 2014 et 2017 les évents éruptifs ont changé deux fois de position: d'abord au pied du mur ouest du cratère, puis au pied du mur nord et, enfin, très récemment c'est en plein milieu du cratère que la carbonatite est émise. Son accumulation a déjà édifié un cône.


Erratum

Robin Campion, volcanologue, a relevé (et je l'en ai remercié dans les commentaires d'ailleurs, et je réitère ici) une erreur toute simple: le graphique du MIROVA indique que tous les signaux thermiques détectés se sont produits à plus de 5 km du sommet de l'édifice....et j'étais sûr d'avoir lu le contraire. Ils ne peuvent donc en aucun cas provenir de l’émission de carbonatites, émises à trop faible volume et à trop faible température pour que le rayonnement infrarouge résiduel (qui arrive au satellite après absorption partielle par l’atmosphère) puisse exciter le capteur.
C'est une erreur simple (mauvaise lecture du graphique) mais qui :
- explique du coup pour quelle raison je ne voyais aucune émission infrarouge sur les images satellites alors qu'il y avait des pics en mars.
- me rassure finalement car elle prouve que je ne suis pas un robot! :)


Sources: LANDSAT 8 - NASA/USGS; SENTINEL2-ESA/Copernicus; MIROVA

3 commentaires:

  1. Salut Fabrice
    Quel beau boulot d avoir épluché toute la base de données d images satellitales du Lengai pour faire une actualisation (passionnante et totalement inédite) sur son activité. Ca mériterait une médaille Ou une públi!. Je pensé toutefois qu aucun des pics de mirova ne correspond a une activité volcanique parce qu ils sont tous de couleur noire, c est a dire produits par des píxels distante de plus de 5 km du sommet. Ce sont plus probablement des incendies

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    1. Salut Robin et merci pour l'encouragement!
      Et bien figure-toi que j'ai bien regardé le graphique mais que j'ai exactement vu l'inverse (> et <), preuve qu'il ne faut jamais se lever trop tôt pour commencer la rédaction d'un post:).
      Et comme pour toute publi il faut des relecteurs attentifs: merci d'avoir été celui-ci pour ce post :).
      @+

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  2. Bonjour,

    Tout d’abord, merci pour cet article !
    Comme l’a dit Robin des volcans, c’est du beau boulot et çà a le mérite de donner des informations, si rares, sur ce volcan !

    Ton analyse, en plus d’être pointue, est cohérente avec ce que j’ai vue au sommet le 12 février 2016 :
    - L’évent sur la paroi Ouest du cratère a "bien" érodé le cratère lui même, la cavité est toujours présente. Son diamètre semble être d’environ 15-20 m ;
    - Trois petits évents (environ 5 à 10 m de diamètre) étaient visible dans le quart nord-ouest du cratère. Un des évents était situé plutôt vers la paroi nord (celui visible sur la photo satellite du 21/09/2016 ?), et un autre presque situé au centre du cratère (était-ce déjà celui qui est visible sur la photo satellite du 08/06/1017 ?). Le troisième évent était situé au milieu du petit champs de lave (très raide) émis par l’évent de la paroi ouest (entre ce dernier et l’évent central donc)

    En plus de ces petites descriptions, on avais réalisé une petite vidéo de ce repérage sur le Lengaï (https://www.facebook.com/1569625300029195/videos/1840655479592841/). Les évents dont nous parlons sont rapidement visibles à ces moments de la vidéo :
    - 1 min 57 ;
    - 2 min 03 ;
    - 2 min 09.

    Sur la vidéo, on arrive aussi à voir les nuances de couleurs propres à la carbonatite : noir, blanc et marrons. Les évents sont plutôt noirs et blancs, donc sans doute assez récents pour ne pas avoir été trop altéré (couleurs marrons). D’ailleurs, le guide massai avec qui je suis monté le 12 février était également monté 4j avant (le 8 février) et avait observé quelques petites incandescences au niveau d’un ou des trois petits évents.

    J’en profite aussi pour rajouter quelques informations sur ce que j’ai vue là-haut lors de mon passage :
    - une longue fissure (au moins 50-70m) de 10 cm à un peu plus d’1 m de large par endroit était présente sur le flanc ouest (au moins, je n’ai pas pu m’aventurer plus loin que çà), à une centaine de mètre en aval du sommet (plus ou moins au niveau de l’ancienne plateforme - d’avant 2007). Concernant l’écartement de la fissure, le guide massai a été un peu surpris en montant car la fissure n’existait quasiment pas le 8 février (5 à 10 cm à quelques endroits seulement apparement)…
    - Une activité fumerollienne était visible au niveau de cette fissure, ainsi qu’au niveau d’autres zones plus éloignées (mais quand même visibles).
    - En vidéo : curseur à 2 min 33, 2 min 45 et 3 min 04.

    Nous avons également pu observer un jolie panache très clair (donc plutôt chargé en eau) le 12 février 2016 vers16h, soit 6h après mon passage là-haut. Ce panache était probablement alimenté pas une hausse de l’activité fumerollienne au sommet (flancs ouest), assez soutenue pour maintenir le panache pendant plusieurs heures (au moins jusqu’à la tombée de la nuit, vers 18h). En vidéo : curseur à 4 min 03.

    En somme, le Lengaï montre bien des signes d’activité de temps à autres ! :)

    Encore merci pour ce post’, et pour tous les autres ;)

    Alex
    (Objectif Volcans)

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